Succédané : la Valise
15/09/2005
Je ferme la fenêtre, efface l’historique par habitude plus que par nécessité et, dubitative, fixe l’écran qui se noircit. Parfois, le trajet le plus logique entre deux points n’est pas la droite, d’accord. Mais, réussir à prolonger de deux heures un trajet de quinze minutes, c’est très fort. Au téléphone, la femme de la SNCB, sans se départir de son sérieux, confirme : entre les quelques kilomètres qui séparent mon bled de celui de Sébastien, il n’y a aucune ligne ni de bus, ni de train. Il faut passer par le centre et attendre quelques heures une correspondance poussiéreuse.
Je ferme la porte de l’appartement. Même si je n’en suis plus une, les histoires de petites filles violées dans un talus qui ont bercé mon enfance m’incitent à renoncer à lever le pouce. Sait-on jamais que parmi les conducteurs serviables se cache l’un ou l’autre éventreur. Reste le bus. Je me dirige à contrecoeur vers l’habitacle surchauffé. Le chauffeur a vite fait de perdre son sourire à la vue des deux euros en pièces de cinq cents que je lui tends. Moi, par contre, je le gagne, comme si avec cet argent, je lui avais transmis toute ma guigne. Alors qu’il vérifie leur nombre, je vois, peu à peu, ces quarante pièces comme de petits grains de poisse et j’atteins presque l’hilarité quand je les imagine s’éparpiller à travers la ville. Je me contiens, pourtant. Histoire de ne pas attirer l’attention des vieilles permanentées du premier siège.
J’ai le temps de finir La valse aux adieux de Kundera et de songer à reprendre la lecture de L’insoutenable légèreté de l’être qui sur le transat des vacances m’avait paru plus insoutenable que léger et je ne suis toujours pas arrivée chez Sébastien. Il ne me reste plus qu’à marcher un peu à présent. Quelqu’un soulève un rideau dans une maison à gauche. Ce sont ses voisins et ils me fixent. Ils doivent se demander pourquoi j’ai mis un pull et une écharpe si tôt dans la saison. Je me concentre pour ne pas m’effondrer là , si près du but : Il suffit juste d’appuyer sur la sonnette.
Sa soeur m’ouvre.
— Sébastien n’est pas là . Il est à Marseille/Genève
— C’est pas possible que je lui réponds. J’ai besoin de …
Je baisse les yeux vers la valise en carton que j’ai trimballée jusqu’ici. Elle commence à me peser, il faut que je la donne à Seb. Sa soeur, calée dans l’embrasure de la porte, persiste à me barrer le passage. Dans ma tête, l’incompréhension. Pourquoi n’est-il pas là ? Le sang commence à gicler dans les tempes. Pourquoi n’est-il pas là , si je sens sa présence ?
— Je sais qu’il est là !
J’ai poussé sa soeur pour passer. Assez fort. Un peu comme dans les mauvais feuilletons allemands, quand l’assassin tue sa victime par accident, sa tête a fait *schtong* contre la troisième marche de l’escalier et du sang a coulé de son oreille. Effrayée, j’ai escaladé les marches jusqu’à Sébastien. Il était sur le palier.
— J’ai tué ta soeur.
— Mais non, elle te crie toujours que je ne suis pas là .
Tendrement, il m’encercle de ses bras, tandis que je dépose ma joue sur son pull. Je suis si fatiguée, j’ai si mal, la valise est si lourde, mais pour la première fois depuis longtemps, je me sens mieux. C’est un tel soulagement de le voir.
— Tu veux bien prendre ma valise ? Moi, je ne peux plus.
— Oui, mais dépêche-toi de me la donner, j’entends déjà les sirènes.
— C’est la police ?
— L’ambulance, je pense.
— Tu vas les laisser m’emmener ?
— Je ne peux pas les en empêcher. Tu comprends ? Je ne suis pas là . Mais, je te jure de prendre soin de ta valise. Il y a de la place pour elle. ICI.