Vodka
J'ai goûté à l'alcool pour oublier le désir
J'ai vogué à l'alcool, j'ai pas trouvé le plaisir
J'ai fauté tant et plus et jamais que du pire
J'en ai marre de sourire, seule la vodka me tire
Quelques soupirs.
J'ai goûté à l'alcool pour oublier le désir
J'ai vogué à l'alcool, j'ai pas trouvé le plaisir
J'ai fauté tant et plus et jamais que du pire
J'en ai marre de sourire, seule la vodka me tire
Quelques soupirs.
Je feuillette un torchon de magazine féminin qui traîne sur la table basse et gobe un bonbon vert, puis un orange pour finir par fondre pour une sucette rouge. C'est pas ce que je préfère manger pour le souper. Je reproche à Valentin de n'avoir rien laissé de plus nutritif.
- "Alors, quoi de neuf ? Ta vie ? Raconte ! Depuis le temps..."
Là, j'hésite à lui dire la rupture, la vodka et ce grand vide apaisant, de lui expliquer que je suis seulement triste de ne plus être amoureuse de lui, de personne. J'en suis presque à me résigner à la fadeur de ces relations sans sens. L'amour c'est juste pour les jeunes filles un peu naïves. Pourtant, je réponds :
- "Rien !"
Parce que je me devais de partager mon don pour la confection des sushis à la barbare* avec vous.
* Oui, je ne chante pas de berceuses aux poissons agonisants, je coupe certains ingrédients au ciseau et je ne sèche pas le riz à l'éventail. Mis à part ces quelques détails, ça reste tout à fait comestible.
La bonne femme me tend son dentier en esquissant un sourire gingival des plus avenant. Forte de mes gants en latex induits d'antiseptique, je tend la main prête à réceptionner la prothèse que j'imagine très bien en trophée et/ou presse-papiers dans ma future bibliothèque. Ma carrière de voleuse de rateliers s'arrête net quand la vieille ramène nerveusement l'objet à sa bouche. Dans un "schlik schlik" mélodieux, elle lubrifie le palais en plastique de sa langue douteuse avant de le fourrer dans son bec étroit.
Même vide, le salon rose pue. Avec les cinq vioques dedans, c'est pire. Je me demande dans quelle mesure, je ne suis pas victime d'hallucination olfactive. Dans les bouquins, toutes les petits vieilles ont un air de miss Marple, une douce odeur de savon et un pull rose vaporeux. Ici, non. Ca ne m'empêche pas de les trouver mignonnes à leur façon. Prenez Pruneau, la petite ratatinée dans le coin, celle qui s'acharne sur une pauvre pelote de laine qui n'avait mérité ni un tel traitement, ni une telle couleur. Ben, je l'aime bien. Elle est émouvante à tricoter un pull moche que personne ne mettra, si seulement elle le fini jamais.
Pendant que je vous raconte, la robe à fleurs bleues a commencé à insulter le peignoir orange, je me demande dans quelle mesure je dois intervenir. L'Orange et la Bleue sont juste assez démentes pour s'insulter sans se comprendre.
-"Mademoiselle, vous pourriez pas les faire taire ?"
C'est Cheveux mauves qui supporte mal les vieilles catins, raclures et autres insultes désuettes qui s'éraillent dans la pièce. Je lui répond que si, pendant que j'estime les années de prison dont je risque d'écoper si je plante les aiguilles à tricoter de Pruneau dans les gorges de Bleue et d'Orange. Définitivement trop en comparaison de mon salaire d'étudiante.
-"Mademoiselle, vous pourriez pas les faire taire ?"
Je réponds que si et m'éloigne le temps que l'infirmière vienne prendre le poste télé pour regarder son feuilleton à la cuisine. Quand je reviens, Cheveux mauves dit qu'elle est contente de me voir arriver ce matin et me demande si je ne peux pas les faire taire. Je réponds que si et ferme les rideaux sur le soleil qui se couche.
15/09/2005
Je ferme la fenêtre, efface l’historique par habitude plus que par nécessité et, dubitative, fixe l’écran qui se noircit. Parfois, le trajet le plus logique entre deux points n’est pas la droite, d’accord. Mais, réussir à prolonger de deux heures un trajet de quinze minutes, c’est très fort. Au téléphone, la femme de la SNCB, sans se départir de son sérieux, confirme : entre les quelques kilomètres qui séparent mon bled de celui de Sébastien, il n’y a aucune ligne ni de bus, ni de train. Il faut passer par le centre et attendre quelques heures une correspondance poussiéreuse.
Je ferme la porte de l’appartement. Même si je n’en suis plus une, les histoires de petites filles violées dans un talus qui ont bercé mon enfance m’incitent à renoncer à lever le pouce. Sait-on jamais que parmi les conducteurs serviables se cache l’un ou l’autre éventreur. Reste le bus. Je me dirige à contrecoeur vers l’habitacle surchauffé. Le chauffeur a vite fait de perdre son sourire à la vue des deux euros en pièces de cinq cents que je lui tends. Moi, par contre, je le gagne, comme si avec cet argent, je lui avais transmis toute ma guigne. Alors qu’il vérifie leur nombre, je vois, peu à peu, ces quarante pièces comme de petits grains de poisse et j’atteins presque l’hilarité quand je les imagine s’éparpiller à travers la ville. Je me contiens, pourtant. Histoire de ne pas attirer l’attention des vieilles permanentées du premier siège.
J’ai le temps de finir La valse aux adieux de Kundera et de songer à reprendre la lecture de L’insoutenable légèreté de l’être qui sur le transat des vacances m’avait paru plus insoutenable que léger et je ne suis toujours pas arrivée chez Sébastien. Il ne me reste plus qu’à marcher un peu à présent. Quelqu’un soulève un rideau dans une maison à gauche. Ce sont ses voisins et ils me fixent. Ils doivent se demander pourquoi j’ai mis un pull et une écharpe si tôt dans la saison. Je me concentre pour ne pas m’effondrer là , si près du but : Il suffit juste d’appuyer sur la sonnette.
Sa soeur m’ouvre.
— Sébastien n’est pas là . Il est à Marseille/Genève
— C’est pas possible que je lui réponds. J’ai besoin de …
Je baisse les yeux vers la valise en carton que j’ai trimballée jusqu’ici. Elle commence à me peser, il faut que je la donne à Seb. Sa soeur, calée dans l’embrasure de la porte, persiste à me barrer le passage. Dans ma tête, l’incompréhension. Pourquoi n’est-il pas là ? Le sang commence à gicler dans les tempes. Pourquoi n’est-il pas là , si je sens sa présence ?
— Je sais qu’il est là !
J’ai poussé sa soeur pour passer. Assez fort. Un peu comme dans les mauvais feuilletons allemands, quand l’assassin tue sa victime par accident, sa tête a fait *schtong* contre la troisième marche de l’escalier et du sang a coulé de son oreille. Effrayée, j’ai escaladé les marches jusqu’à Sébastien. Il était sur le palier.
— J’ai tué ta soeur.
— Mais non, elle te crie toujours que je ne suis pas là .
Tendrement, il m’encercle de ses bras, tandis que je dépose ma joue sur son pull. Je suis si fatiguée, j’ai si mal, la valise est si lourde, mais pour la première fois depuis longtemps, je me sens mieux. C’est un tel soulagement de le voir.
— Tu veux bien prendre ma valise ? Moi, je ne peux plus.
— Oui, mais dépêche-toi de me la donner, j’entends déjà les sirènes.
— C’est la police ?
— L’ambulance, je pense.
— Tu vas les laisser m’emmener ?
— Je ne peux pas les en empêcher. Tu comprends ? Je ne suis pas là . Mais, je te jure de prendre soin de ta valise. Il y a de la place pour elle. ICI.
J'ai des picotements dans le ventre, juste sous le nombril. Ca ne fait pas franchement mal. Ce n'est même pas désagréable. Même, si je n'étais pas semi-hypochondriaque, je le remarquerais à peine. C'est juste que là, je me diagnostique, vite fait, un énième cancer du bide que j'imagine, comme il se doit, fulgurant et incurable.
Je pose la main de Simon sur mon ventre. Lui me répond que c'est probablement surtout un cancer qui rend con et je me retrouve, toute bête, sa main sur mon ventre et l'envie de pleurer.
Plus tard, dans un coin de la Fnac, je pose mes bouquins et je vérifie, dans mon sac, la présence des euros que Simon vient de me passer à plus ou moins long terme. C'est alors que débarque, entre deux rayons, le Gros Lard. Dois-je vraiment l'introduire ? On en a tous un dans nos connaissances, non ? Ces pauvres choses molles et suitantes qui vous collent aux basques comme un chewing gum et que, pour une raison obscure et indépendante de votre volonté, vous ne pouvez pas rembarrer définitivement. Je repose les livres et me contorsionne pour atteindre la sortie sans attirer son attention.
Je clopine en ville sur des talons trop hauts, déséquilibrée par l'énorme sac que je tiens à la main gauche. Comme j'avais pas le courage de pousser la machine jusque chez Pax, j'ai succombé au manteau de Tsarine. Oui, je sais, de toute façon, je n'aime pas les animaux. Je suis encore plus fauchée qu'hier. Dans le miroir, tandis que j'écarte les pressions de la frange en renard blanc, je fixe mon nombril. Ca n'a pas tellement d'importance quand on va mourir.
Adam a un talent assez particulier : il connait par coeur l'horaire et le parcours des bus de toute la région. Il a essayé les trains aussi, mais ça lui plaisait moins. Une question d'affinités. Son nouvel objectif, c'est de maîtriser de lijn, bien que lui, les Flamands, ...
J'ai d'abord pensé avoir renoué avec ma guigne des transports en commun : la loi qui veut que, quelque soit le nombre de places libres, c'est à mes côtés que s'assoiera la femme obèse, l'adolescent transpirant, le dragueur pathétique ou le bavard inintéressant invétéré. Décidée à replonger mon nez dans La danseuse d'Izu, je le classe dans la dernière catégorie pour mieux pouvoir l'ignorer.
J'éprouve néanmoins une sympathie instinctive pour ce vieil homme occupé à énumérer les différents arrêts. Il faut dire qu'il est le seul passager à ne pas remarquer mes efforts désespérés pour rendre à ma minijupe taille décente. De la même façon, je décide d'ignorer les quelques centimètres de poche à pisse qui dépassent de son pull.
Dès qu'il voit mon attention captée, des bus, il enchaîne sur sa vie : les mines, les camps de concentration, la natation. Il n'a plus beaucoup d'accent. Moi, je n'en ai jamais eu, mais son regard s'éclaire quand il apprend que je viens aussi de l'est. Il raconte la vodka, le marché noir et le pays et c'est toute sa physionomie qui s'anime. J'en viens à réellement l'aimer ce petit monsieur frêle , ses grandes oreilles et son air digne.
Adam va mourir. Nous aussi, je sais. Sauf que lui, c'est pour bientôt et il est le seul passager du bus à ne pas s'en rendre compte.
- "Cette fille, elle est imbuvable, imbaisable et imbue d'elle-même !"
C'est la sempiternelle ritournelle que Thomas me sert quand une fille n'a pas voulu écarter les cuisses. Il me regarde les poings serrés et le visage hargneux. J'approuve son petit laïus et il se détend. Tandis qu'il développe ses griefs à l'encontre d'une quelconque Marie, Carole ou Sophie, je fixe, intriguée, les auréoles sur son canapé.
Je pense que je suis à peu près capable de retracer l'historique de la moindre tache qui macule mon sofa. Les petites plus sombres de l'accoudoir correspondent à une coupure au coude. Les autres presque effacées sont pour la plupart alimentaires. Puis, il y a celles dont je ne peux révéler l'origine sans craindre que vous n'évitiez à jamais de poser vos fesses dessus.
En l'occurrence, c'est une de celles-là que m'évoque l'auréole que j'examine sur le canapé de Thomas. J'hésite à lui demander quelle Carole, Marie ou Sophie y a contribué, mais il est déjà parti vers la cuisine me préparer un thé dans les brumes duquel s'évapore ma question. Il continue son discours et je passe du vernis translucide sur l’accroc que ma jupe ne cache pas.
Quelques minutes plus tard, pendant que je m’endors en chien de fusil sur le fauteuil, je sens Thomas qui dépose une couverture sur moi. Entre les rives de deux rêves, j’acquiers la lucidité qui habituellement me fait défaut : c’est parce que, je suis réellement imbuvable, imbaisable et imbue de moi-même que je ne serai jamais une Marie, Carole ou Sophie pour Thomas.
1 Juillet 2005
Il est déjà midi et demi et je suis en retard. Vraiment en retard. Ce n'est pas de ma faute d'ailleurs, mais je suis persuadée qu'il est parti sans m'attendre. Je raccroche. Catherine au GSM. Sa voix criarde qui me fait mal au crâne. Je descends du bus, je fonce dans la gare. Peut-être est-il toujours là ?
Une main tire le fil qui noue mon chemisier dans le dos. Il est là. j'en pleurerais presque de joie. De toute façon, la journée est larmoyante. J'ai signé mon dernier échec ce matin.
J'aime bien le visage un peu aigu de S. Peut-être parce qu'il ne ressemble à aucun autre. Etonnamment, depuis quelques temps, c'est devenu la personne avec qui je peux m'exprimer le plus librement. Le voir m'appaise. Avec lui, pas de séduction, pas de baise. Je me fous d'avoir les cheveux et les ongles sales.
On marche un peu, moi en tailleur, lui en costume. Dandy et secrétaire salope en pleine action. Nos quatre grandes pattes quadrillent la ville. On pourrait presque nous imaginer prédateurs urbains, près des Guillemins, à l'affut d'un fast food que les mouches auraient oublié.
S. m'entraine Chez Anne, Il reste deux places et je meurs de faim. Je m'asseois à côté d'un ficus maladif. Saletés de plantes vertes. On parle vacances, examens, baise et des autres connards de gens. Je le regarde dévorer son pain poulet-estragon. Voir S. manger, c'est quasi jouissif. L'efficacité du rapace, la grâce du moineau. Je lui refile le reste de mon pain mozarella.
On bouge ? La machine se remet en marche. De longues enjambées jusqu'à la place. On avise une terrasse. Une bonne femme permanentée façon caniche, une soixantaine d'années se pose près de nous et des pigeons. Saletés de pigeons ! C'est que ça s'approche de vous et que c'est loin d'avoir la gueule sympa des incorruptibles, un pigeon. La femme s'approche aussi et S. me fait remarquer le côté vain de son string en dentelle. Finalement, je trouve la vioque plus gênante que les pigeons.
Affalée sur le sofa, je me surprends à espérer qu'il pousse des pattes au frigo pour m'épargner l'effort du trajet salon-cuisine-salon. Mes dons de télékinésie laissant franchement à désirer, c'est la seule option qu'il me reste pour voir le chocolat à la violette finir dans mon estomac. Bientôt, à force d'oisiveté, d'autres alternatives germent dans mon esprit dont la technique de l'oisillon qui consiste à pialler meugler jusqu'à ce qu'on me donne la becquée. Sauf que l'appartement restera vide encore quelques heures.
Au final, je me retrouve enroulée dans une couverture synthétique Ikéa, de surcroît fushia à ramper en direction de la cuisine. Il ne manque que la marre de sang et je suis le remake parfait de ces cadavres qui se trainent sur trente mètres pour aller terminer de crever dans un coin.
Ouvert, le frigo projette sur moi sa lumière sainte et je songe avec tristesse que je serais tout à fait prête à adhérer à la moindre religion qui mettrait le dieu Cacao, Vanille ou Caramel au sommet de son panthéon. Je poigne dans les truffes, évide les mandarines, gobe les mousses, poigne dans les rayons et renverse plusieurs pots de confiture au sol dans une lutte enragée avec la faim. Plus tard, repue, je m'endors à même le sol de la cuisine, la bouche toujours mielleuse de sucreries, heureuse, au milieu des pots et des emballages éventrés.